Jusqu'où va-t-on descendre ? Ou l'enseignement des sciences physiques au lycée
J'ai emprunté le titre de cette note à Alain Soral, agitateur depuis 1976, tant il me semblait imager la situation de l'enseignement scientifique, notamment au lycée, où je suis enseignant depuis 10 ans.
Il y a
déjà un certain nombre d'années que les problèmes se sont accumulés,
mais un événement, somme toute anodin apparemment puisque fréquent, m'a
décidé à prendre le clavier. Ce 01 septembre 2006, jour de la pré
rentrée scolaire des enseignants, nous apprenons que notre collègue
attaché de laboratoire, ayant demandé sa mutation, ne sera pas
remplacé. Professeur, cette personne avait choisi de s'occuper des
tâches du laboratoire, occupant ainsi un emploi à plein temps, soit 35
heures.
Ses tâches étaient multiples : concevoir et préparer les
expériences, les documents de cours et travaux pratiques, assister les
professeurs dans le déroulement des séances expérimentales, assurer la
maintenance du matériel scientifique. D'une manière générale, il était
responsable du bon fonctionnement des différents services du
laboratoire. Autant dire que cette personne nous était indispensable
pour dispenser un enseignement de qualité, ou plus simplement pour
satisfaire aux exigences du programme. L'éducation nationale considère
donc que cette personne ne servait à rien, ou pas grand chose. La
raison de cette suppression de poste est, bien entendu, financière.
Mais alors que penser du gâchis d'argent, de temps, et d'énergie
consacré à imposer au forceps des études scientifiques à TOUS les
élèves de seconde ? Il faut s'être trouvé dans une classe hétérogène de
seconde à 35 élèves pour comprendre la situation kafkaïenne que cela
représente. 69 % d'entre eux ne poursuivront pas d'études scientifiques
(Voir les revues "repères et statistiques" publiées par le ministère de
l'éducation nationale 2003 - 2004 et 2004 - 2005).
On a presque envie de s'excuser auprès d'eux, en voyant leur regard las
nous implorer de cesser de leur imposer ces notions qui les ennuient.
Plusieurs solutions sont envisageables :
- Revenir aux classes de secondes différenciés (plutôt que de le faire
en première). Mais je peux comprendre les réticences de certains face à
cette proposition.
- Proposer les sciences en option, avec par
exemple, une option sciences "dures", destinée à ceux qui veulent
poursuivre dans le domaine scientifique, et une option plus souple
(type enseignement scientifique en 1ère L), vulgarisée, afin de donner
à tous une culture scientifique de base. On pourrait même imaginer de
proposer ce choix aux élèves à la fin du premier trimestre, lorsque les
élèves ont une idée plus précise de ce vers quoi ils voudront
s'orienter. Notons que le Syndicat National de l'Enseignement
Secondaire ne l'entend pas de cette oreille (voir l'avis du SNES sur l'option sciences)
Faisons un calcul simple mais pas simpliste. Dans notre lycée, nous
avons 15 classes de seconde. Chaque professeur dispense 5 heures de son
enseignement dans chaque classe. Imaginons que seulement 6 de ces
classes choisissent l'option vulgarisée. L'horaire y serait alors
allégé (il faut avoir vu l'emploi du temps d'un élève de lycée pour
pousser un cri d'effroi à la vue du nombre d'heures hebdomadaires),
disons 2 heures classes entière, soit 3 heures de gagnées. 6 (classes)
x 3 (heures gagnées) = 18 heures professeur, soit un poste à temps
plein d'attaché de laboratoire.
Seulement voila, il y a la
désaffection des élèves pour les études scientifiques. On constate en
effet que les nouveaux titulaires de bacs S sont moins nombreux à se
diriger vers de telles formations (-7,8 % en cinq ans selon un rapport du sénat) (Pour la totalité du rapport, voir ici).
La solution apportée ces dernières années a donc consisté en une sorte
de danse du ventre, destinée à attirer les élèves dans ces filières :
programmes toujours simplifiés, "activités" en classe (innovation
pédagogique douteuse où l'élève est plus ou moins censé découvrir les
notions de lui-même, accompagné qu'il est par le professeur : plus de
cours magistral). Je reconnais la louabilité de l'intention, mais je
crois et prétend que le remède est pire que le mal. Tout cela n'est que
tromperie. Les élèves d'ailleurs ne sont pas dupes. Devant
l'affligeante simplicité du dernier sujet (2006) du baccalauréat de physique,
certains d'entre eux se sont écriés : "Quel décalage entre les
difficultés de l'année scolaire et le sujet du bac !". Mais cela est
sans doute la faute des professeurs qui ont il est vrai la fâcheuse et
indécrotable habitude d'essayer de maintenir un certain niveau
d'exigence. La moyenne nationale a atteint des sommets. J'ajoute que
cette année, une innovation a vu le jour : la mise en ligne des sujets
de l'épreuve expérimentale du bac notée sur 4 point ! (je n'ose mettre
le lien hypertexte).
Dans un monde ou tout se complique, comment
croire qu'une formation au rabais pourra donner satisfaction ? C'est
reculer pour mieux sauter. Il est notoire que 40 % Des élèves quittent l'enseignement supérieur sans diplôme (7ème paragraphe).
Normal, puisqu'ils n'ont pas la formation suffisante. La première année
post-bac est, pour ces frais bacheliers mijotés aux "activités", un
véritable coup de bambou.
Changer le mode d'enseignement des
sciences physiques en classe de seconde est la premiere réforme à
mettre en oeuvre dans ce domaine. Espérons que les temps qui viennent
apporterons à tous ce changement.